(Fr) Le Radeau de la Méduse, une mise en scène de Thomas Jolly

(Fr)

Un huis-clos. Au milieu de l’océan.
Ils sont treize enfants sur ce radeau de fortune, treize enfants qui fuient la violence des adultes. Après avoir tenté de créer une petite société égalitaire et solidaire, sept jours leur suffiront pour glisser lentement dans la barbarie. Menacés dans leur existence, en état de survie, ils vont se protéger du danger en éliminant l'un des leurs…
 

En choisissant ce texte dont les personnages sont des enfants pour les jeunes acteurs de l'École du Théâtre national de Strasbourg, Thomas Jolly s'inscrit dans une nouvelle aventure collective. « Leurs énergies, leurs colères, leurs idées, leurs singularités, leurs désirs » sont mis en jeu dans ce huis-clos perdu au milieu de l'océan et travaillent à dénoncer les méthodes d'endoctrinement qui enclenchent un mécanisme d'exclusion d'une grande violence. Car après avoir tenté de créer une petite société égalitaire et solidaire, sept jours leur suffiront pour glisser lentement dans la barbarie. Sept jours de la vie d'un groupe d'enfants réfugiés sur un radeau qui jouent à devenir adultes, le deviennent à leur corps défendant, à l'image d'une tragédie si antique et si moderne.
 


 

«  Par la présence de la guerre et de la religion, nous tenons deux axes qui interrogent assez brutalement et très directement le monde d’aujourd’hui.  » -- Thomas Jolly

Interview


La pièce de Georg Kaiser, dont est issue votre spectacle, a été écrite entre 1940 et 1943, d’après un fait réel (le torpillage par un sous-marin allemand d’un paquebot anglais qui transportait des enfants vers le Canada). Ce texte résonne-t-il un peu différemment aujourd’hui selon vous ? 

Thomas Jolly : Très certainement. Il s’agit d’abord d’êtres humains qui fuient la guerre… Ici, d’enfants qui fuient une guerre d’adultes. Ils se retrouvent sur un canot de sauvetage et vont commettre un acte irréparable au nom de l’interprétation d’un texte religieux, chrétien en l’occurrence. Si Georg Kaiser indique treize personnages, c’est pour introduire le chiffre fatidique de la Cène où Jésus est entouré des douze apôtres. Ils sont donc treize, un de trop… Car à treize, pensent certains, le salut ne viendra jamais… […] 

En fonction de ses croyances, l’homme peut justifier le pire et se sentir dans son droit. C’est assez monstrueux car le règlement pousse au drame. Ce qui est troublant, c’est qu’il ne s’agit pas d’un débat entre spécialistes de textes religieux mais entre des enfants. Ils ne font que répéter ce qui leur a été inculqué. […] La barbarie peut surgir n’importe où et à n’importe quel moment. Mais si l’auteur pose la question de cette barbarie latente, il ne donne pas de réponse très claire, ce qui permet heureusement toutes les interprétations possibles. Il y a une grande finesse dans cette ambiguïté permanente. Par la présence de la guerre et de la religion, nous tenons deux axes qui interrogent assez brutalement et très directement le monde d’aujourd’hui. 
 


 

Croyez-vous qu’il y a une référence dans le choix du titre au tableau de Géricault ? 

Thomas Jolly : Les références sont multiples et volontaires. Il y a une référence à la véritable histoire du radeau que les passagers du bateau « la Méduse », échoué et détruit en 1816 au large des côtes mauritaniennes, ont construit pour survivre. Nous parlons du même « micro-monde » qui vit, s’entre-tue, se dévore… Mais il y a aussi une référence à la méduse antique, celle qu’il ne faut pas regarder sous peine d’être paralysé. […] Les enfants jouent aux adultes et bien sûr ils vont vraiment se comporter comme eux ; cela les conduit au meurtre. On peut donc faire la comparaison entre les didascalies de Georg Kaiser où la pièce se termine dans une mer toute rouge, et celle dans laquelle meurt la méduse antique après avoir été décapitée, ce rouge sang qui donne naissance au corail. 
 


 

Justement, les didascalies scénographiques sont très longues et très nombreuses. Les respectez-vous ? 

Thomas Jolly : Il y a des éléments qui sont inévitables. Un réalisme quasi cinématographique transpire des didascalies. Par exemple, le brouillard qui enveloppe systématiquement le canot… Car l’autre particularité du texte est qu’il s’agit d’un huis clos, au milieu de l’océan. Un espace restreint au cœur de l’immensité. La question est de distinguer la part onirique et la part réaliste de cette œuvre. Mais je veux que les pistes scénographiques émanent des élèves scénographes qui sont confrontés à des espaces de représentation différents. Dans cette promotion, il y a les sections jeu, son, lumière, dramaturgie, scénographie, mise en scène, costume, et il est important que, tous et toutes, se saisissent de l’œuvre à leur endroit… Sur ce projet, je me sens comme un garant de la cohérence globale, comme le conducteur du paquebot qu’ils vont construire ensemble.  

Copyright © Jean-Louis Fernandez

(Fr) Date de publication: 2 July 8, 2017