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Matisse et Picasso,
deux géants de la peinture moderne :
entre amitié et rivalité artistique
L’histoire de l’art a toujours présenté Matisse et Picasso dans des termes d’opposition. Comme en témoignent la presse et la critique d’art, les deux artistes furent considérés dès la première décennie du XXe siècle comme les deux principaux inventeurs de l’art moderne. Tous deux ont été chefs de deux mouvements respectifs et synchrones, le fauvisme et le cubisme, et se soutenaient dans leur propre évolution.
Chacun aura bouleversé la peinture française à sa façon. D’un côté, l’art de Matisse calme et davantage tourné vers la couleur, de l’autre celui de Picasso, plus conflictuel et porté sur le dessin. Malgré des différences apparentes, les deux « monstres sacrés » ont travaillé dans le même sens, celui de la modernité.
Henri Matisse, Jeune fille en blanc, fond rouge, 1946
© Succession H. Matisse, Photo RMN-Grand Palais René Gabriel Ojéda, Thierry le Maje
Pablo Picasso, Femme couchée lisant, 1939
© Succession Picasso 2008 ; © Réunion des musées nationaux ; © Jean -Gilles Berizzi
Lors de leur rencontre au courant de l’hiver 1905-1906 à l’instigation de la poétesse féministe Gertrude Stein, Matisse est alors leader du mouvement artistique le plus audacieux de France, tandis qu’à cette époque de nombreux peintres cherchent leur style dans le refus de l’académisme. A peine arrivé d’Espagne, Picasso reste quant à lui peu connu à Paris, où il commence néanmoins à attirer l’attention de quelques critiques et marchands.
Henri Matisse, Le Bonheur de Vivre, 1905-1096 © 2023 Succession H. Matisse / Artists Rights Society (ARS), New York
Pablo Picasso, Les Demoisellesd’Avignon, 1907
© 2023 Estate of Pablo Picasso / Artists Rights Society (ARS), New York
Présenté au Salon d’Automne de 1906, Le Bonheur de Vivre de Matisse défraie la chronique lors de cette exposition. Alors qu’elle est exposée chez les Stein, puisque le frère de Gertrude, Léo, en a fait l’acquisition, Pablo Picasso reçoit cette œuvre comme un défi. Sa réponse, en peinture, viendra quelque temps après, avec Les Demoiselles d’Avignon. Opposé à l’idéal esthétique de Matisse, Picasso cherche à provoquer dans cette toile immense et inachevée, sur laquelle il travaillera une année entière.
En 1907, ils échangent des tableaux. Matisse fait don à Picasso de Marguerite, portrait plat à la facture presque naïve d’une jeune femme à la robe verte, contre Pichet, bol et citron, une révolutionnaire composition qui annonce le cubisme. Si chacun affirme avoir choisi sa peinture préférée dans l’atelier de l’autre, Gertrude Stein avouera qu’il s’agissait en réalité de celle qu’il jugeait la moins intéressante.
Henri Matisse, Marguerite, 1907
© Musée Picasso, Paris, France
Pablo Picasso, Cruche, bol et citron, 1907
© Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Sammlung Beyeler
Tout au long de leur carrière, les deux artistes vont dès lors travailler dans un vis-à-vis productif, à Paris, en Catalogne ou sur la Riviera française, autour des grands genres du Nu, du Portrait et de la Nature morte. Oscillant entre amitié et compétition, leur relation sera fondée sur une véritable « fraternité artistique ».
Les deux hommes, en dépit des rumeurs, se rencontrent plus souvent qu’on ne pense, et vivent leur admiration mutuelle à leur façon : Matisse se montre plus généreux et serein ; Picasso le prédateur, plus susceptible d’emprunter des idées artistiques à son aîné. De douze ans son aîné, Matisse dira de leurs caractères qu’ils sont « aussi différents que le Pôle Nord l’est du Pôle Sud ».
Catalogue des œuvres de Matisse et Picasso, Paris, Galerie Paul Guillaume, 23 janvier – 15 février 1918 / textes de Guillaume Apollinaire
En 1918, Matisse expose avec Picasso à la galerie Paul Guillaume à Paris, le catalogue est préfacé par Apollinaire. Ce dernier écrira « On vient d’avoir l’idée la plus rare et la plus imprévue, celle de réunir dans une même exposition les deux maîtres les plus fameux et qui représentent les deux grandes tendances opposées de l’art contemporain. On a deviné qu’il s’agit d’Henri Matisse et de Pablo Picasso. »
Plus tard, en 1927, Matisse reçoit le prix Carnegie à Pittsburgh, et fait partie du jury qui attribue le même prix à Picasso en 1930 pour le Portrait de Madame Picasso.
En dépit de leur rivalité, les deux artistes se vouent une admiration mutuelle. Pierre Daix, journaliste, écrivain et historien de l’art français ayant écrit de nombreux ouvrages sur Picasso, écrit ainsi « Aux yeux de Picasso, Matisse était l’autre plus grand peintre du XXe siècle. »
Henri Matisse, Odalisque à la culotte rouge,entre 1924 et 1925
©Photo : RMN-Grand Palais (Musée de l’Orangerie) / Michel Urtado / Benoit Touchard
Pablo Picasso, Les femmes d’Alger (Version ‘O’), 1955
© Succession Picasso, VEGAP, Madrid, 2023
Après le décès de Matisse le 3 novembre 1954, Picasso peindra quelques mois plus tard une série de tableaux hommage aux intérieurs souvent représentés par son ami. Prolongeant la révolution artistique du XXe siècle, il fera honneur aux odalisques de Matisse et peindra 15 variations sur les Femmes d’Alger de Delacroix déclarant : « Oui, il est mort. Il est mort et moi je continue son travail. »
Propos de Pablo Picasso dans Picasso Créateur de Pierre Daix, Paris, 1987, p.74.
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(Fr) Date de publication: 21 July 2023