Voici venu le temps de la valse aux adieux.
Milan Kundera nous a quittés. Creuser le sillon de sa vie discrète ne serait pas lui rendre hommage, lui qui, éminemment libre, revendiquait le droit de s’abstraire de la pesanteur des choses, de construire dans les interstices d’un réel trop fissuré, absurde, des fictions sur la possibilité pour l’homme, ce vaste jardin d’être heureux.
Dès les premières lignes, il est un grand écrivain. À la veille du soulèvement tchèque et de sa répression, il met en mots nouveaux ce qui travaille le siècle : la mue amère de lendemains qui chantent en dictature communiste, insoutenable rupture d’un idéal qui met à nu le monde comme une Plaisanterie.
Comment s’y retrouver alors ? Par la fiction, la pensée, l’amour, la légèreté : La vie est ailleurs, elle est là.
Exilé en France au milieu des années 1970 après le Printemps de Prague, Milan Kundera explorera ainsi ces autres continents. En poussant ses personnages, « ego expérimentaux » jusqu’aux limites de ce qu’un être peut être, il lève pour nous Le rideau sur les bizarreries de notre âme sans jamais se voiler la face, ni céder au kitsch. Moins fataliste que Jacques, profondément vivant, Kundera nous livre une voie où les amours, même risibles, le rire et l’oubli permettent en fin de compte de faire de l’insignifiance une fête.
Marqué par l’histoire, européen convaincu, on retrouve dans chacune de ses pages l’écho d’une culture partagée dont il déplore l’effritement sans jamais prôner le repli. Alors, entre deux langues et deux terres, entre la nostalgie d’un pays perdu et la certitude qu’il faut vivre ici et maintenant, l’œuvre de Milan Kundera nous subjugue par sa richesse.
À la manière d’une symphonie, il aura su en plus de soixante ans et en millions de mots nouer son travail théorique et sa création littéraire pour nous suggérer une autre manière d’habiter le monde : poétiquement, drolatiquement, légèrement.
J’adresse à sa famille, à ses proches et à tous les lecteurs dont il continuera longtemps d’accompagner la vie mes plus sincères condoléances.
Rima Abdul Malak, ministre de la Culture
Date de publication: 14 juillet 2023