George Ka

Issue des scènes slams et open mic de la région parisienne, George Ka s’est pleinement révélée à travers son premier EP « Par Avance ». Elle y aborde des thèmes à la fois intimes et politiques, son identité franco-vietnamienne et diasporique dans « Saïgon », et la place des femmes dans la ville et la nuit dans « Jolies Personnes ».

 

C’est bizarre là non ?
Enfin, ça a toujours été bizarre
En fait, c’est trop grand Démesuré
Au-delà de toute mesure possible

Il n’y a pas d’échelle Adaptée
Pour évaluer
La quantité

De tout ce qu’il y a

La population intramuros
Le salaire minimum
Le produit intérieur brut L’indice de masse corporelle
Le taux d’acidité du sol
Le nombre de bus 115
Et
La nature des sentiments

Tout ça c’est trop grand

Dans cette ville

Il y a des histoires éparpillées
Chaque semaine
Collées en dessous
De chaque semelle

Et le bus 115
Accuse le poids
De ce que chacun traine

Un mélange modeste
D’amour avortés
D’obstacles évités
De rêves évidés

Tout est secoué
Dans les virages
Comme dans une boule à neige

Tu peux tout lire
Sur chaque visage

C’est comme compter
Les nervures d’un tronc
Pour estimer son âge

On part pour la journée
On forge des artefacts
On nourrit le secteur tertiaire

Tout nous parvient aussi
Ca rend ouf
Tout s’affiche dans notre poche

On voit tout ce qu’on rate
Tout ce qu’on n’aura pas
C’est injuste ou trop tard
On a loupé le coche

Et puis on voit
Le reste aussi

Dans un pays qui fout la honte
Qui scrute la tenue des gamines à l’école
Trop amples, couvrantes ou bien trop près du corps

On peut pas faire semblant
De pas savoir
Pas avoir eu la notif
Nan on sait très bien
Ce qu’il se passe
De part et d’autre du périph
Ou de l’autre côté de l’océan
Mais l’autre c’est loin

Et nous c’est déjà
Tellement grand
Ca pèse le poids d’un train

La frustration, l’absence
La bassesse et la beauté

On a tous
Tout en puissance
Qui se tient là, prêt dans l’os

Le héros et le lâche
Le menteur et le sage
Le vieillard et le gosse

Et on demande tu fais quoi dans la vie ?
Et on jette trois, quatre mots clés
En pâture, toujours les mêmes
Pour donner un aperçu, un schéma
De soi-même

Parce qu’il y a pas le temps, pour plus
La vérité est trop longue
De toute façon
Il y a trop de monde

A cette soirée, dans cette ville, Dans ce bus

C’est pour ça
Que je fais le truc
Que le soir j’m’ouvre en deux
Et que je fais des poèmes
Sur ce que je crois apercevoir
Au pire ça fera des traces dans la poussière
Pour des mystère qu’un jour
Quelqu’un d’autre percera

J’m’exprime au nom de personne
Mais si quelqu’un trouve
Dans mes sons
Un gout de chui pas seul
Alors ça va un peu mieux

Moi jvis grâce à celles et ceux
Qui dissèquent leur coeur
Avec des outils rouillés
Des doigts malhabiles
Qui décorent leurs entrailles
De mots de couleurs
Qui habillent les monstres
Dans mon propre ventre

Quand on chante nos monstres
On les fait danser avec ceux des autres

C’est précieux dans cette ville où on sursaute peu
Où plus grand chose nous désarme
Insensible au vacarme
Comme ceux qui grandissent loin des arbres

Et au milieu
De tout ce chaos moite

Dans cet océan de trouille
Et d’oppressions lâches
Dans cette mare troublée
Par des victoires rêches

C’est fou de se dire
Qu’il y a des gens qui se trouvent
Et qui jamais se lâchent

Il y a
Des évidences

Des miracles mauves

Des bonheurs irrémédiables
Qui explosent d’un coup
Comme des shrapnels

Et qui les écorchent
Bien comme il faut
Les façades mornes
Les bus qui daubent
Les tueurs de rêves
Et les impayés

D’un coup d’un seul on est les grands gagnants
D’une loterie créée rien que pour nous
Plus rien n’existe d’autre
Que cet instant là

Et c’est pour ça qu’on reste

Dans cet amas
Incompréhensible
Douloureux
Et trop grand

On reste
Parce qu’on raterait ça
Pour rien au monde

 

Tu sais j’suis venue aussi vite que j’ai pu
J’ai eu l’message de l’hôpital sur l’répondeur et puis chui venue
J’ai peur de respirer trop fort et d’troubler tes voyages
Quand je m’approche de ton étrange visage

Quand j’te porte j’ai l’impression qu’j’vais t’aplatir
Si j’te serre aussi fort que ce que ton ptit corps m’inspire
J’ai l’impression de te connaître par cœur
Pourtant t’es née il y a à peine quelques heures

J’peux pas y croire bientôt tu fixeras les traits
Et les formes qui dessinent les visages familiers
Tu nous reconnaitras tes piliers, ton clan, ton sanctuaire
Tes immuables, tes protecteurs et moi la sœur de ta mère

Tu vas découvrir le jeu, les il était une fois
Je te ferai pirate, louve, indienne ou Princesse Elsa
Ce que tu veux, on exhumera les rires de ma propre enfance
Baba t’apprendra à couper du bois pendant les vacances

On t’emmènera au Vietnam, Léna vient de là-bas
C’est loin d’ici et c’est pour ça qu’maman ressemble pas à papa

REFRAIN :
Quand je serai grande, j’veux être Mononoke X4

J’ai hâte de t’faire écouter David Bowie et James Brown
Qu’on se marre devant Princess Bride, Shaolin Soccer et IpMan
De te voir vouloir t’appeler San comme dans Mononoke
Te taper du Daniel Pennac pour le bac de français

Tu sais évidemment que j’ai peur petite regarde toi
Tu sais t’es minuscule t’es pas plus grande qu’un chat
Pourtant j’ai l’impression que tu peux me broyer d’un geste
Je sens mon cœur qui s’écrase quand tu serres mon index

Tu sais t’es magnifique, laisse personne te dire l’inverse
Surtout les garçons à l’école ou ton prof d’EPS,
La cour de récré une arène, du lundi au samedi
A esquiver les premiers coups indélébiles du regard d’autrui

Ca continuera dans les magazines, à table ou sur les réseaux
Ton corps passé au crible, on te fait croire qu’il n’est pas comme il faut
Mais c’est faux, t’es belle ça veut pas dire ce qu’ils te disent
T’es belle c’est en toi quand t’es la personne que tu vises

T’es belle, et ne t’en excuses jamais
Ne dis ni pardon ni merci mais dis leur simplement je sais

REFRAIN

Tu sais j’ai tant à te dire, j’ai pas beaucoup de temps
Une vie déjà un peu entamée j’ai peur d’oublier l’plus important
Alors jveux que tu trouves un mec bien ou une fille en or
Non pardon je suis con, j’veux qu’tu te trouves toi d’abord

Que t’aies jamais peur de prendre un rencard avec toi-même
De rire à tes propres blagues et te payer tes propres verres
Seule c’est pas un défaut, ni un fléau
Faut rien attendre, faut apprendre à prendre le temps qu’il faut

Et pas oublier tous les profs qui s’ignorent
Les alter egos, les boussoles sud, les mentors
La famille que tu choisis, la famille qui t’adopte
Tu verras ça c’est cool, ça s’appelle les meilleurs potes.

Tu sais j’ai tant à te dire, le temps on le prendra
Moi et puis tous les autres on saura veiller sur toi

Mais tu sais tu vas tout découvrir par toi-même
Tu vas explorer tes jours, leurs variations et leurs thèmes
Tu vas expérimenter, tomber tu vas rester au sol
Pleurer à t’en cramer la gorge comme un aérosol

Tu vas connaître la honte et ses regrets brûlants
Tu vas rire à faire se retourner tous ceux du premier rang
Confier tes peines à des dépositaires qui vont te décevoir
Blesser des alliés qui te pardonneront plus tard

Tu sais on sera là pour éparpiller tes doutes
A plus tard petite, on se retrouve sur la route

 

Coups de pagaies dans le vide
Fais du surplace sur les ondes
Chiale à s’en trouer le bide
Se demande qui a raison

On a dit au revoir dans la caisse
Et dans des papiers repliés
On a dit il faut qu’on se laisse
Qu’au moins on a essayé

On devait construire les cabanes
Où dorment en secret les oiseaux
On n’aura jamais vu l’Espagne
Ni réparé la radio REFRAIN

Tout se mélange
Dans le métro
Tout se mélange
Quand j’y pense trop

Et ça fait retourne comme une droite
De t’imaginer à deux
Car t’en rencontreras une autre
Qui fera basculer tes yeux

Oui tu rencontreras une autre
Qui s’allongera sur ton dos
Vous irez sûrement en Espagne
En écoutant la radio

Tout se mélange
Dans le métro
Tout se mélange
Quand j’y pense trop

Je garde planqués dans le ventre
Le goût des poires sur tes lèvres
Le bruit de la porte quand tu rentres
Et les hérons cachés dans l’herbe
J’ai dit au revoir au reste

C’était bien tant que c’était là
Aimer ce qui disparait
Ca fait mourir, ça tient froid
Je nous souhaite des nouvelles montagnes

Des solstices et des bateaux
Moi je suis peut-être en Espagne
Et mes chansons à la radio

 

J’habite dans une “hêm”, une petite ruelle de Binh Thanh
7 heures du mat, ma voisine allume son réchaud au butane
Les femmes assises à même le sol découpent des légumes
Les hommes s’interpellent, déambulent, rient et fument

A peine sortie de ma rue, c’est l’explosion de la ville
Le défilé des scooters qui forment une seule et même file
Ça crie ça se bouscule, rien ne se tait et tout bouge
A l’exception des affiches de propagande jaunes et rouges

Les vendeurs ambulants règnent en maître sur la chaussée
On passe commande depuis sa bécane et on l’attrape à la volée
On arbore des T-shirt aux effigies évocatrices
On porte du Donald Trump ou du Dora l’exploratrice

Saigon vit dans le vacarme des deux roues
Des moteurs débridés, des clignotants, des klaxons fous
Hommes et femmes de tout âge pilotent les mêmes bolides
Les vieux conduisent lentement et les jeunes font les caïds

Des sièges minuscules s’immiscent sur les trottoirs défoncés
Où des oncles abattent des cartes dans les vapeurs de leurs cafés
La sueur dégringole dans leurs omoplates amaigries
Ils me rappellent tous mon grand-père, celui pour qui j’écris

REFRAIN :

O do o day Saigon
O do o day Saigon oi
O do o day Saigon may may

Au coucher du soleil, j’aime monter en haut d’un pont
Regarder le trafic en contrebas filer comme un banc de poisson
Incandescent, la nuit se couche sur Ho Chi Minh
Qui s’enfuit vers la banlieue diner avec sa famille

Ho Chi Minh ne dort pas, elle somnole sous les réverbères
Gardée par les mendiants, les taxis et les grand-mères
Le monstre s’endort et ronfle doucement
Ho Chi Minh ressemble au Saigon d’avant

Sauf à Bui Vien, où il fait jour au milieu de la nuit
Les couche-tards s’entassent sur les terrasses à bas prix
Les néons aveuglants se mêlent aux cris des serveurs
Des enfants vendent des mouchoirs et des femmes leurs faveurs

Parmi la foule agglutinée sur les trottoirs qui empestent
Ya la bande classique de mecs en road trip Asie du sud-est
On en entend parfois gueuler leurs commandes comme des colons
Aux serveuses qui parlent pas anglais et qui n’ont jamais pris l’avion

A elles leur boss a répété que l’homme blanc était roi
Au royaume des aveugles on pense d’abord à ses fins de mois
Ils leur glisseront des gros billets pour égayer leur solitude
Les plus fières diront non, mais d’autres prendront pour leurs études

Quand je vois ça j’ai la nausée, ça faisait p’têtre partie du voyage
Voir une fille, comme moi, pas la même vie mais le même âge
Sentir inscrit dans mes traits l’exil européen
Détourner le regard sans pouvoir oublier le sien

REFRAIN

On est les privilégiés, les traitres ou les clairvoyants
Certains en veulent aux lâches qui ont fui un pays en sang
D’autres me disent qu’ils sont fiers de nous voir revenir
On n’a pas choisi de naître ailleurs mais on construira peut-être l’avenir

On nous appelle Viet Kieu, vietnamiens d’outre-mer.
Quand on discute on pose toujours les mêmes questions amères
Ça fait combien de temps que t’es ici ? T’as repris le nom de ton père ?
C’est ta première fois au pays ? Vous êtes partis pendant quelle guerre ?

Parfois j’sais pas ce que j’ai, j’ai le cœur lourd et l’alcool triste
L’impression de prendre des bouts de ma vie et jouer à Tetris.
Métisse prénom sans initiale, drapeau sans territoire
J’me dit métisse quand j’me sens plutôt l’air hybride ou bâtard

Que ce soit en France ou au Vietnam, je suis moitié là-bas moitié d’ici
Tout le monde voit en moi les 50% qui viennent de l’autre pays.
Puis d’autres fois je crois sentir au contraire les morceaux qui s’assemblent
De retour à Paname je découvre un ensemble

Des bricoleurs génétiques aux identités en kit
D’ADN bigarrés, d’amoureux en mosaïque
De sang mêlés naissants, d’autres joueurs de Tetris
De pères et de mères qui construisent un monde métis.

 

Samedi soir ça se bouscule
La nuit s’allume dans la capitale
La lumière réverbère
Les visages dans la chaussée sale

Les néons rendent fluo
Les reflets de leur fond de teint
Poupées de cire montent le son
Quand elles montent dans le train

Chantent à tue-tête
Malgré les têtes qui se retournent
Plus fières et plus fortes
Quand elles s’agrippent par les coudes

Elles resserrent le rang
Pour mieux affronter les regards
Une chaîne humaine maquillée
Formée de six maillons criards

Toute la rame enrage
Contre ces belles dérangées
S’il leur arrive des déboires ce soir
Elles l’auront bien cherché

Regarde les défiler comme des chars
Dans le métro morne
Calées sur le pas des copines
Comme un métronome

De jolies personnes
En amas qui zonent
Princesses que personne
Ne vient chercher quand minuit sonne

[REFRAIN]

De jolies personnes
Laissent aller ce soir
Elles ont arrêté leurs montres
Pour rentrer plus tard

De jolies personnes
Brillent dans le noir
Se défoncent sur la piste
Elles sont vues sans le voir

Ce soir toutes ensemble
Contre le reste du monde
Elles ont repeint leurs jambes en noir
avec leurs collants en nylon

Boivent à même une bouteille
Qu’elles font danser de bouche en bouche
La marque du goulot sur les lèvres
Rouges qu’elles retouchent

Dans les toilettes de la boite bondée
où elles débarquent en bande
au bar des cartes bleues vidées
Les épaules se détendent

Elles dansent en cercle
Des pointillés qui s’espacent
Pivotent tour à tour
Vers des ombres pour leur faire face

Elles ont paré leur corps
Comme l’on décore un appart
Pour héberger celui
Avec qui elles feront bande à part

Ce soir la ville regorge
Non pas de princes hypothétiques
Mais de cœurs hypothéqués
Par des sentiments pathétiques pour

De jolies personnes
En amas qui zonent
Princesses que personne
Ne vient chercher quand minuit sonne

[REFRAIN]

Les ombres ont la voix grave
Et des mains qui se promènent
Des regards qui entravent
Les jolis corps qui se démènent

Certaines esquivent
Remettent les mains à leur place
D’autres les laissent aller venir
Comme des essuie-glace

Toujours les mêmes qui aiment
Se faire des cavaliers seuls
Avec qui disparaître
de ces soirées en sous-sols

Toujours les mêmes qui restent alors
Ça se disperse dans le parterre
La fête se disloque
Mais elles font bloc jusqu’au vestiaire

Dehors, la nuit s’éteint
Dans la capitale
Elles ignorent les sifflements
De quelques derniers mâles

Postées sur talons aiguilles
Comme sentinelles sur mirador
A l’affut de prédateurs potentiels
Dans les angles morts

VTC commandé, on attend
La tête fait des loopings
La lumière du matin s’engouffre
Et brûle les pupilles

La fête a effacé les reflets
De leur fond de teint
Elles s’endorment le front contre la vitre
En se tenant la main

[REFRAIN]